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Politique "drogues" : Le gouvernement Arizona ou le désert du pragmatisme

Politique "drogues" : Le gouvernement Arizona ou le désert du pragmatisme

5 mars 2025 - La Libre

Carte blanche à retrouver dans La Libre.

À l’inverse d’une approche pragmatique et fondée sur la connaissance scientifique, la politique du gouvernement Arizona en matière de drogues est fondée sur un slogan creux: “les drogues sont toujours nocives”. Aucune personne et aucun consommateur n’ignore ce message, puisqu’il est répété à l’envi. Et pourtant, les consommations persistent, et l’échec de la prohibition s’avère patent. Ce message ignore tout d’abord une factualité, en l’occurrence que si les consommateurs et consommatrices de drogues utilisent des drogues, c’est qu’ils y trouvent une fonction, au moins au début, qu’il s’agisse de plaisir, de réconfort, de tranquillisant, de dopant, ou tout autre effet recherché. Plus radicalement, ce message ignore tout à la prohibition, d’autres, dont l’Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas, tentent des approches alternatives.

Le projet que porte le gouvernement Arizona est non seulement emblématique de la méconnaissance dont font preuve nos responsables politiques quant aux enjeux réels que soulève toute politique publique en matière de drogue ; il porte également en lui les germes d’une sur-pénalisation mortifère des consommateur.ice.s au détriment de leur autonomie et de leur bien-être autant que d’une surenchère, aux effets pervers dévastateurs, contre les trafiquants qui s’enrichissent sur le dos de la prohibition.

La prohibition des drogues a été instaurée en Belgique en 1921 avec la loi du 24 février. Un siècle plus tard, une cinquantaine d’associations et des milliers de citoyens se sont mobilisés à travers la campagne STOP 1921 pour en dénoncer les effets. En Flandre, le collectif « Smart on Drugs » défend une politique plus intelligente, humaine et juste. Pendant que les travailleurs de terrain, conscients des échecs de la prohibition, réclament un changement législatif, lemonde politique reste prisonnier de ses promesses sécuritaires et refuse d’admettre l’inefficacité de sa stratégie face aux nouvelles violences mafieuses.

La politique répressive est criminogène

Souvent présentée comme une solution, la répression ne fait en réalité qu’aggraver l’insécurité, comme en témoignent les fusillades à Bruxelles. Il est prouvé qu’une politique répressive en matière de drogues alimente la criminalité en intensifiant la course aux armements entre police et trafiquants. Le gouvernement fédéral met l’accent sur l’impact économique du trafic illégal – « frapper les criminels au portefeuille » – mais néglige une évidence soulignée parl’économiste Paul De Grauwe : plus la répression s’intensifie, plus les profits des réseaux criminels augmentent. Ainsi, cette approche produit l’effet inverse de celui recherché.

Les actions répressives se concentrent principalement à arrêter les « petits dealers » et à déplacer le phénomène géographiquement. Ainsi, les actions coup de poing autour de la Gare du Midi ont repoussé les points de deals dans Saint-Gilles et Anderlecht, des quartiers moins concernés par le phénomène, ce qui a donné lieu à une guerre des territoires violente et un environnement insécurisant pour les riverains.

Le consommateur : entre culpabilisation et stigmatisation

Pour nos ministres, le consommateur est soit un délinquant qui ne mérite aucune mansuétude, soit un malade qu’il conviendrait de soigner même contre son gré. Dans tous les cas, et le texte de l’accord gouvernemental alimente cette perspective, il s’agit d’une personne qu’il faut culpabiliser et stigmatiser. “Tous les consommateurs de drogue ont du sang sur les mains”1 affirmait d’ailleurs et récemment l’un des artisans de cet accord. C’est donc ignorer le fait que les consommateurs sont amenés à s’approvisionner sur les marchés illégaux. Si les autorités exploraient les pistes de la régulation du marché, et de la production contrôlée, la violence liée au trafic serait drastiquement réduite.

Dans cet accord, il semble de plus en plus évident que les consommateurs et consommatrices de drogues seront à l’avenir des citoyen.ne.s de seconde zone dont on peut rogner les droits les plus élémentaires. Il sera possible de récolter et traiter les données personnelles sans tenir compte du secret médical et des règles déontologiques propres aux travailleurs sociaux en ce qui concerne les personnes dites toxicomanes. De plus, des trajectoires de soin seront imposées, notamment via la généralisation des Chambres de traitement de la toxicomanie, au risque d’étendre le filet pénal à l’égard des usager.e.s de drogues.

La lutte contre les réseaux : une guerre perdue d’avance

La “tolérance zéro”, que scande l’accord gouvernemental et qui vise tout spécialement la vente et la consommation de stupéfiants, semble constituer le seul horizon de nos autorités. Le mot d’ordre reste la guerre à la drogue, une guerre menée et perdue depuis plus d’un siècle. Le gouvernement prévoit le déploiement d’un grand éventail d'appareils technologiques de surveillance qui viserait à éradiquer le flux de drogues qui arrive par nos ports et aéroports. Stratégie qui ne porte pas ses fruits puisque les consommations ne diminuent pas et que les drogues arrivent par d’autres routes et suivant de nouvelles techniques d'approvisionnement face aux contrôles.

Face à cette inefficacité, le gouvernement Arizona dit qu’il ne “prendra pas d'initiative de légalisation”. Il s’obstine à exercer une politique aveugle et ultra-répressive, sans prendre en compte les modèles étrangers alternatifs qui ont prouvé les avantages de systèmes où les produits psychotropes voient leur production, leur distribution et leur consommation encadrées.

C’est précisément sur cet enjeu que se concentrent le travail de la Liaison Antiprohibitionniste et de Smart on Drugs. En s’opposant au modèle dominant et destructeur de la répression, ces organisations promeuvent des approches alternatives basées sur une perspective de santé publique. L’expérience du Portugal, du Luxembourg et de la Tchéquie montre que la dépénalisation a conduit à une société plus sûre et plus saine pour tous et toutes. Personne ne nourrit l’illusion d’un monde sans substances psychoactives, mais il est possible de construire une société où la politique en matière de drogues est pragmatique, humaine et permet un meilleur contrôle du phénomène.

1 Georges-Louis Bouchez dans le Soir 30/03/2024 https://www.lesoir.be/577971/article/2024-03-30/georges- louis-bouchez-mr-les-consommateurs-de-drogues-doivent-savoir-quils-ont

Rédigée le 25 février 2025, Liaison Antiprohibitionniste et Smart on Drugs

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Prisons : réduction des risques, une politique en sursis (2020)
Auteur(s) : MEURANT, K. ; POULIN, J. ; VALKENEERS, B.
Dans : Addiction(s) : recherches et pratiques (n°5, Décembre 2020)
Année : 2020
Page(s) : 24-27
Langue(s) : Français
Domaine : Drogues illicites / Illicit drugs
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