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Prohibition des drogues : Et si le changement venait des Amériques ?

Prohibition des drogues : Et si le changement venait des Amériques ?

6 mars 2013

Plusieurs pays d’Amérique Latine ont appelé à un changement dans la politique internationale de prohibition des drogues, et certains sont engagés dans un processus de modification de la loi sur les stupéfiants dans un sens plus libéral. Aux États-Unis certains États optent pour le changement des politiques menées à l’égard du cannabis, soit en autorisant son usage thérapeutique, soit en légalisant son usage récréatif. La prohibition vacille là où elle est née, là où elle s’est imposée par la guerre. Le constat d’échec de la guerre à la drogue n’est maintenant plus une nouveauté, cela fait des années qu’il est devenu une évidence clamée par différents acteurs à travers le monde. La politique de prohibition et la guerre mise en place pour l’appliquer n’ont guère porté de fruits, elles ont au contraire généré toute une série de problèmes qui touchent les pays de manières différentes. Cependant, ce constat d’échec a rarement été porté par les acteurs politiques qui se sont bien souvent ralliés à la politique prohibitionniste chère aux États-Unis, et c’est sur ce point que les évolutions récentes en Amérique du Sud apportent une réelle nouveauté, et pourraient changer la donne à l’échelle internationale. En effet, certains pays dont le Guatemala, le Mexique, la Colombie ont déjà officiellement appelé la communauté internationale, par exemple via l’Organisation des Nations Unies, pour un changement dans la politique internationale en matière de stupéfiants. Enfin, certains leaders politiques de pays tels que le Honduras, Belize, le Costa Rica ou encore le Brésil ont appelé à un débat serein sur la question. Ces pays ou ces représentants politiques estiment être les premières victimes de la guerre à la drogue lancée par Richard Nixon en 1971, au vu de la puissance des narcotrafiquants qui menacent la stabilité des États, des violences générées sur leur territoire mais également au vu du gouffre financier que représente une telle guerre. Jusqu’à présent, ces appels ont été lancés de manière relativement autonome et sans concertation, mais cette situation pourrait changer. En effet, ils sont déterminés à inscrire ce point à l’ordre du jour de la prochaine assemblée de la Commission des Drogues et Narcotiques de l’ONU. Ils vont pour ce faire tenter d’accorder leurs revendications à l’occasion des sommets du CELAC (Communauté des États latino-américains et caraïbes), une organisation récemment créée pour contrer le pouvoir des États-Unis et du Canada au sein de l’OEA, l’Organisation des États Américains. Le CELAC a d’ailleurs récemment placé la question de la légalisation des drogues à l’ordre du jour du sommet EUROLAT (celui-ci regroupe 75 représentants politiques de l’Union Européenne et 75 issus des pays d’Amérique latine) qui se tenait à Santiago fin janvier 2013. Les rapports du sommet ne sont malheureusement pas encore disponibles.

D’un autre côté, il est à noter que plusieurs pays d’Amérique centrale et du sud ont déjà commencé à travailler sur une évolution législative sur leur territoire. À titre d’exemple, on peut citer le cas de la Colombie, qui après avoir décidé de décriminaliser la détention simple de cannabis et de cocaïne travaille actuellement sur un projet de loi visant à décriminaliser la détention simple d’ecstasy et de méthamphétamines. On peut encore citer le cas de l’Argentine où le gouvernement a déposé un projet de loi au Congrès visant la décriminalisation de la possession de drogues pour usage personnel. Des initiatives similaires ont également vu le jour au Guatemala, au Chili, au Costa Rica et au Salvador, avec des propositions de modification de la loi sur les stupéfiants plus ou moins ambitieuses. En effet, certains projets de loi visent uniquement le cannabis, d’autres plusieurs produits stupéfiants, certains proposent une dépénalisation et d’autres une décriminalisation. Toutefois, aucun pays n’a été aussi loin que l’Uruguay puisque celui-ci a déposé un projet de loi proposant la légalisation du cannabis et la régulation par l’État de la production et de la distribution de marijuana.

Un autre événement récent mérite ici d’être mentionné, il s’agit de l’adoption de la loi prévoyant la légalisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives par les États du Colorado et de Washington lors d’un référendum organisé à l’occasion des élections présidentielles aux États-Unis en novembre dernier. La Cour Suprême doit encore se prononcer sur la légalité de ces lois car la loi fédérale interdit toujours cette consommation, et prime théoriquement sur les lois des états. De nombreux états américains autorisent déjà la consommation de cannabis à des fins médicales et certains États envisagent également la légalisation de la consommation à des fins récréatives, parmi lesquels on peut trouver Hawaï, le Maine, le New Hampshire, la Pennsylvanie, Rhode Island, le Vermont ou encore la Californie. Autre répercussion de cet événement, une semaine après le vote américain, des parlementaires issus de l’opposition ont déposé un projet de loi visant également la légalisation du cannabis au Mexique, bien qu’un décret déjà adopté en 2009 prévoit la dépénalisation de la détention simple de cannabis, de cocaïne, d’héroïne et de méthamphétamines.

Enfin, il existe encore de manière schématique deux autres cas de figure en Amérique du Sud. D’une part, il existe des États qui, bien que n’ayant pas soutenu publiquement la demande de changement dans la politique internationale en matière de stupéfiants et n’étant pas sur la voie d’une évolution législative sur leur territoire, partagent une vision critique de la prohibition des drogues et sont prêts à soutenir une politique de légalisation mais uniquement dans la mesure où cette vision serait partagées au sein des instances politiques internationales (par exemple l’Équateur, le Panama ou encore le Paraguay). D’autre part, certains États sont toujours fermement opposés à un quelconque changement en la matière et soutiennent encore publiquement la politique des États-Unis sur la question. Le changement pourrait voir le jour dans ces pays dans la mesure où Barack Obama a récemment annoncé à l’OEA que bien qu’il ne soit pas personnellement en faveur d’une politique de légalisation, le débat méritait d’être mené.

Reste à voir quelles seront les suites réservées à cette volonté de changement qui s’inscrit de plus en plus ouvertement dans certaines régions du monde. Il est certain que la pure répression aura plus de mal à s’imposer comme légitime, mais il convient néanmoins d’être prudent et attentif aux futures évolutions à venir. Quid du rapport du dernier sommet EUROLAT ? Quid de la prochaine assemblée de la Commission Drogues et Narcotiques de l’ONU ? Quid de la future décision de la Cour Suprême aux États-Unis ? Quid des nombreux projets de loi à l’étude en Amérique du Sud ?

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Prisons : réduction des risques, une politique en sursis (2020)
Auteur(s) : MEURANT, K. ; POULIN, J. ; VALKENEERS, B.
Dans : Addiction(s) : recherches et pratiques (n°5, Décembre 2020)
Année : 2020
Page(s) : 24-27
Langue(s) : Français
Domaine : Drogues illicites / Illicit drugs
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