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Quel avenir pour le cannabis thérapeutique ?

Quel avenir pour le cannabis thérapeutique ?

Jeudi, Octobre 24, 2002 Cannabis Thérapeutique Belgique

24 octobre 2002

Compte rendu de conférence

Le mercredi 23 octobre 2002 a eu lieu, à l’Auberge Jacques Brel, une conférence-débat sur le thème de l’usage thérapeutique du cannabis. Organisée par la Liaison Antiprohibitionniste la soirée visait à informer le public de la première expérience clinique menée à l’Institut Bordet par le Docteur Lossignol en application à l’arrêté Royal autorisant, sous certaines conditions, l’usage du cannabis dans le traitement de certaines maladies graves. Le 19 juillet 2001 est paru au Moniteur Belge l’arrêté royal autorisant l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques. Depuis ce jour, la Liaison Antiprohibitionniste a pour ambition de convier le public à une soirée afin de l’informer de la mesure prise mais surtout de lui présenter les initiatives menées en application à l’arrêté. Dans un premier temps il a fallu constater l’absence totale d’expériences cliniques menées dans ce domaine et à l’engouement provoqué par l’annonce de la mesure s’est substituer le sentiment dubitatif d’être en présence d’un texte légal inapplicable.

En effet, au-delà du concept théorique émit par le législateur pour permettre au médecin qualifié de prescrire la substance aux patients directement concernés par la mesure et d’entreprendre des essais cliniques rien n’avait été prévu par le législateur pour assurer la délivrance d’un médicament à base de Tétrahydrocannabinol (THC). En fait, aucun médicament n’était mis à la disposition du médecin et il n’était pas concevable pour les autorités d’autoriser un approvisionnement en cannabis sous une autre forme que médicamenteuse. Heureusement, grâce à la volonté du Docteur Lossignol les premiers essais cliniques ont finalement vu le jour à l’Institut Bordet. Dès ce moment, nous avons pu entamer notre cycle de conférences sur l’usage thérapeutique du cannabis. Nous vous proposons, dans ces colonnes de rendre compte du contenu de la première soirée consacrée à ce sujet. Afin d’aborder le thème de la soirée de la façon la plus complète possible nous avons invité, le 23 octobre 2002, à la table des orateurs : Le docteur Lossignol cancérologue à l’Institut Bordet, un représentant de l’industrie pharmaceutique en la personne d’Alain De Wever, un pharmacien d’officine en la personne de Jean-Paul Brohee et enfin Patrick Van Krunkelsven, sénateur VLD et médecin. La soirée était placée sous la présidence de Christine Guillain (juriste et administratrice de la Liaison).

Comment les premiers essais cliniques ont-ils vu le jour ?

Dans son travail le Docteur Lossignol à rencontrer des patients ayant découvert les vertus antalgiques du cannabis et témoignant du bien-fait de la substance sur leur organisme quant il s’agit de supporter la douleur provoquée par certains traitements curatifs lourds de maladies tels que le cancer et le Sida par exemple. A l’époque, notre interlocuteur ne pouvait pourtant pas conseiller aux patients de fumer du cannabis : « Cela aurait été paradoxal pour un médecin de conseiller aux malades d’inhaler la fumée de cannabis sachant que cette action peut elle-même provoquer de sérieuses lésions pulmonaires », relate le docteur. De plus, rien n’autorisait le corps médical à fournir ou à prescrire une substance illégale aux patients.

« Dès le moment ou est parut l’arrêté royal qui nous préoccupe j’ai cherché à entreprendre une étude clinique tel que prévue par le texte légal, mais hélas aucun médicament à base de THC ne semblait être disponible sur le marché. C’est tout à fait par hasard que j’ai appris l’existence d’un spray mis au point en Angleterre par la Société G.W. Pharmaceutical », se souvient Dominique Lossignol. C’est ainsi, par la volonté et par un concours de circonstance que les premiers essais cliniques ont vu le jour au service du traitement de la douleur de l’Institut Bordet.

C’est la recommandation faite par la Chambre des Lords de promouvoir l’étude scientifique du cannabis thérapeutique en Angleterre et l’octroi de capitaux spécifiques qui ont permis à la société pharmaceutique anglaise d’investir dans la production du médicament. La particularité de celui-ci réside en ce qu’il est produit directement à partir de la plante de cannabis et n’est donc pas obtenu par synthèse chimique comme c’est le cas pour le Marinol par exemple. C’est d’ailleurs parce que celui-ci ne contient pas de dronabinole (molécule synthétique présente dans le Marinol) qu’il entre bien dans le cadre de l’arrêté royal belge. En effet, celui-ci précise qu’il n’est pas applicable aux spécialités pharmaceutiques contenant du dronabinole.

En Angleterre les plantes dont sont extraits le THC et le Cannabidiole sont cultivées en serres dans le plus grand secret et avec la plus grande rigueur afin que chaque production permette de garantir une stricte équivalence dans la composition du médicament. L’avantage de coupler le THC et le Cannabidiole dans la formule composant le médicament réside dans les propriétés de chacune de ces deux substances. « Le THC ont le sait possède certes des vertus antalgiques, mais il augmente le rythme cardiaque et peut provoquer des angoisses chez certains patients, afin de pallier ces effets indésirables on le couple à la molécule appelée Cannabidiole », précise le docteur Lossignol.

Modalité d’étude, premières observations et perspectives d’avenir, en Angleterre le médicament a déjà démontré une réelle efficacité dans le traitement des troubles du sommeil, de l’appétit et augmente le bien être des patients sous traitement curatif lourd. En Belgique, l’étude clinique menée par le Docteur Lossignol n’en est encore qu’au stade embryonnaire, il est donc trop tôt pour en dégager les premiers résultats, pourtant une tendance se dessine déjà comme nous le confie notre interlocuteur : « L’expérience consiste à administrer de façon aléatoire un placebo à un premier groupe de malades et un médicament à un deuxième groupe. En aucun cas je ne suis informé du contenu du spray de cette façon mon jugement ne peut être faussé et je peux vous affirmer que dès le troisième jour d’observation nous savons identifier quel patient à reçu le placebo et quel patient s’est vu administré le médicament. Les témoignages parlent d’eux-mêmes, il est indiscutable d’observer une amélioration de la qualité de vie chez les malades sous traitement effectif. » Toutefois, le docteur souligne l’importance de ne pas tirer de conclusions à ce stade de l’expérimentation et de continuer l’étude clinique avant de l’étendre peut être, si les résultats sont probants, à d’autres traitements tels que les troubles du sommeil ou de l’appétit. Car, finalement à ce jour il existe très peux d’études scientifiques sur le traitement de la douleur à base de cannabis. Mis à part quelques expériences menées dans les années septante qui ne concernent qu’une centaine de patients il faut bien admettre que c’est le désert d’informations scientifiques. Or, pour imaginer voir un jour peut être le médicament en vente en pharmacie ou encore de l’étendre à d’autres maux il faut entreprendre suffisamment d’essais cliniques comme c’est le cas d’ailleurs pour tout autre médicament.

Quel intérêt pour l’industrie pharmaceutique ?

Alain De Wever, représentant de l’Association Générale de l’Industrie du Médicament (AGIM), témoigne de l’accueil favorable réservé à l’arrêté royal par l’ensemble de l’industrie pharmaceutique. « Nous sommes pour entreprendre des essais cliniques dans le cadre de l’arrêté royal et ce afin de démontrer soit l’efficacité du médicament, soit son inefficacité. Mais il est important de respecter le cadre définit par le législateur et de respecter la directive européenne sur les essais cliniques », relate notre interlocuteur. Ensuite, il nous explique les conditions à remplir pour pouvoir entamer une étude clinique : « L’étude doit au préalable être enregistrée et recevoir l’accord du Comité d’éthique de l’hôpital dans lequel elle se déroulera, celui-ci signifiera alors l’essai à l’inspection médicale du Ministère de la Santé Publique avec l’identité complète de chaque médecin en charge de l’essai, le nombre de patients ayant accès à la thérapeutique et les quantités délivrées. Enfin, le pharmacien sera informer de la durée de l’essai et les prescriptions seront conservées durant une période de dix ans. »

Dans le cadre de l’essai clinique mené par le Docteur Lossignol il s’agit d’un médicament importé, pour être délivré par le médecin au patient celui-ci a d’abord du recevoir l’autorisation de l’inspection générale de la pharmacie. Le processus est contraignant mais indispensable si l’on veut mettre sur le marché un nouveau médicament comme nous l’explique Alain De Wever : « Je le répète il faut réaliser toute une série d’essais cliniques pour déterminer l’efficacité d’un nouveau médicament c’est obligatoire, coûteux et contraignant. Il faut compter 12 ans entre le moment où un brevet est déposé et le moment ou le médicament sera distribué et en moyenne pour 4000 brevets déposés seul un aboutira, au regard de ces considérations on peut donc aisément imaginer que les perspectives commerciales sont prometteuses pour l’industrie G.W. Pharmaceutical » ...Sur les enjeux commerciaux du nouveau médicament à base de THC « Développer un nouveau médicament coûte très cher même si la matière première est bon marché. Prenons l’exemple du MS Contin (morphinique) : Produire la morphine ne coûte pas cher ce qui a nécessité un énorme investissement d’argent à la société pharmaceutique se sont les recherches entreprises pour mettre au point un conditionnement efficace de la substance. Il a fallu réaliser une résine qui permette à la substance d’être libérée de façon constante durant 12 heures, ensuite il a fallu mener toute une batterie de test clinique pour démontrer l’efficacité du médicament », nous explique Dominique Lossignol.

Jean-Paul Brohee, pharmacien d’officine, souligne également qu’il peut arriver qu’un médicament déjà commercialisé puisse être retiré de la vente temporairement par ce qu’il ne répond pas au contrôle de l’inspection générale de la pharmacie à un moment donné. Ou encore qu’il soit retiré de la pharmacopée par ce qu’il s’est révélé dangereux dans la pratique. Cela signifie qu’un médicament doit répondre à une série de test dans sa phase de pré-commercialisation mais également tout au long de sa vie commerciale. « L’Europe est exigeante sur les contrôles de qualité des produits et c’est une bonne chose », insiste Jean-Paul Brohee.

...Sur la position des pharmaciens quant à la délivrance du cannabis  Jean-Paul Brohee, pharmacien et membre de l’Association Belge Pharmaceutique (APB), nous expose la position des pharmaciens quant à la délivrance du cannabis à des fins thérapeutiques : « Nous sommes heureux que des études cliniques soient menées sur les effets thérapeutiques du cannabis, substance présente dans la pharmacopée Belge jusqu’en 1931. Quant à la délivrance du cannabis sous la forme médicamenteuse cela ne pose aucun problème pratique au pharmacien puisqu’une fois commercialisées le médicament sera vendu selon les modalités habituelles. » « Nous ne voulons pas nous substituer au commerce de substances récréatives. Toutefois, dans le cas d’une éventuelle dépénalisation de l’usage du cannabis à des fins récréatives, nous souhaitons voir mettre en place un système de contrôle de qualité du produit de type pharmaceutique, c’est-à-dire au niveau de l’importation des matières premières, de leur transformation et de la distribution afin d’offrir à l’usager les mêmes garanties de composition et de provenance que pour un médicament », explique notre interlocuteur.

Conclusion

L’ensemble des intervenants de la soirée semble favorable au texte de l’arrêté royal autorisant l’usage du cannabis thérapeutique dans le traitement de certaines maladies graves sous les conditions prévues par celui-ci. Patrik Van Krunkelsven, sénateur VLD, considère pourtant l’arrêté royal comme trop restrictif et contraignant et s’explique : « En plus de mon siège de sénateur j’exerce toujours la médecine dans mon cabinet et tout comme le docteur Lossignol je rencontre énormément de patients demandeur d’une thérapie à base de cannabis. Je ne comprends pas pourquoi, alors que beaucoup de membres de la communauté scientifique s’accordent à dire que la substance est relativement peu dangereuse on l’encadre d’une mesure aussi restrictive. »

« Le Canada a également récemment autorisé l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques et pris des mesures beaucoup plus souples », nous explique le sénateur. En effet, outre Atlantique les malades atteints d’une ou plusieurs maladies énumérées par le texte de loi ont le droit de posséder et de consommer la marijuana sous sa forme naturelle à condition d’être muni d’une attestation d’un médecin. L’Etat produit la matière première et est prévu la possibilité pour le patient de cultiver ses propres plants de cannabis à raison des quantités prescrites par le médecin.

« Je suis pour une plus grande souplesse et pourquoi pas pour mettre en vente les sommités fleuries de la plante en pharmacie au même titre que sont vendues certaines herbes du type plantes chinoises qui échappent elles aux contrôles stricts de l’inspection pharmaceutique et dont on sait qu’elles peuvent être extrêmement dangereuses contrairement au cannabis », met en évidence P. Van Krunkelsven avant d’ajouter : « Je suis favorable aux essais cliniques, mais je pense que face à la problématique de la souffrance de certains patients et alors que la plupart des témoignages vont dans le sens d’une amélioration des conditions de vies de ceux-ci par l’usage thérapeutique du cannabis il faut agir vite tout en menant parallèlement tous les essais cliniques nécessaires. »

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Prisons : réduction des risques, une politique en sursis (2020)
Auteur(s) : MEURANT, K. ; POULIN, J. ; VALKENEERS, B.
Dans : Addiction(s) : recherches et pratiques (n°5, Décembre 2020)
Année : 2020
Page(s) : 24-27
Langue(s) : Français
Domaine : Drogues illicites / Illicit drugs
AUTEUR·ICE·S

Les plumes Antiprohibitionnistes

Kris Meurant
Membre du CA
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Jerome Poulin
Ancien membre du CA
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Bruno Valkeneers
Ancien coordinateur
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